Antonio Rosmini
ExpÉrience et TÉmoignage
mise
en ligne le 5 novembre 2013
_________________________________________________________________________________________________________
par Françoise Lalanne-Trigeaud
Ecrivain catholique revendiquant en son temps cette
dénomination, comme Péguy, Bernanos ou Claudel, et fondant sa culture
littéraire sur la lecture des grands maîtres de la tradition classique, Pascal,
et Racine en particulier, et sur les poètes du 19ème s, Mauriac n’a
jamais cessé de mettre son œuvre et sa parole au service de la foi.
Je ne parlerai pas de ses « idées », ni de ses
prises de position à tel ou tel moment de sa vie ou de l’histoire de son
siècle : seul importe le sens chrétien de ses engagements, au-delà des
circonstances, des contingences et des conflits d’opinion. Qu’il soit
romancier, mémorialiste, polémiste, journaliste, il évalue son action à l’aune
du Christianisme qui donne à l’homme le Salut et vocation à l’Eternité :
« Peut-être n’ai-je été créé et
placé dans ce petit canton de l’univers à une époque où la Révolte est le thème
sur lequel s’exercent le plus volontiers nos beaux esprits, que pour attester
la culpabilité de l’homme devant l’innocence infinie de Dieu »,
écrit-il dans la préface de Galigaï.
Ainsi, chez Mauriac, l’acte de foi, réfléchi et médité,
n’est jamais séparé de sa vocation littéraire. En 1933, le romancier en pleine
possession de son art affirme: « Le
meilleur de mon œuvre, ce qui lui donne de l’accent, du pathétique –et, plus simplement, de l’intérêt-, tout
cela vient de ma foi profonde » ; et il ajoute : « Dans le péché ou dans la grâce, je n’ai, au
fond, jamais parlé que du Christ. »
C’est dire que le monde qu’explore Mauriac est placé sous
la lumière de la grâce que les créatures de Dieu peuvent toujours obtenir. La
liberté des enfants de Dieu et une rédemption toujours possible, au-delà du
péché et de l’aveuglement des passions, expliquent le sens profond de chaque
roman, -ce qui a échappé à certains adaptateurs de l’œuvre au cinéma, et
récemment, à celui de Thérèse Desqueyroux, qui présente une héroïne
souffrant des affres d’une société et
d’une éducation et des stéréotypes bourgeois des années 30, sans entrevoir
« la Fin de la Nuit ». Oublier l’obligation que Mauriac nous fait, et
nous rappelle dans les préfaces de ses publications, de cheminer sur les voies
de la vie intérieure et d’un examen de conscience, en dépit de l’obscurité et
des forces du mal qui s’y opposent, c’est trahir la nature et la fonction de
son écriture : « Ne redoute pas
de peindre les passions. Mais victorieuses ou vaincues, ne les montre que dans
leurs rapports avec la Grâce. »
Et cela est vrai aussi pour sa parole de journaliste: elle
s’élabora au rythme hebdomadaire de ses billets, en lien permanent avec ses
lecteurs des Bloc-Notes de l’Express, puis du Figaro, qui
forgeaient leur conviction, en faisant leur, le cri spontané et authentique
du polémiste : c’est que, là aussi, le sens chrétien donné à ses
engagements, était un gage d’honnêteté intellectuelle et de débat respectueux
de « tout » l’homme pris dans sa dimension eschatologique. Il
écrit : « C’est cette foi qui a
suscité aussi l’écrivain politique et qui l’a obligé à prendre parti et à
mettre ses pieds dans tous les plats » ; et répond à ces deux
questions : « Se tenir
au-dessus de la mêlée ? Regarder de haut les multitudes torturées ?
---- En tout cas, pas de plus haut
que la Croix. Il faut demeurer à la hauteur du gibet. »
Si Mauriac éclaire systématiquement ses écrits de cette
Lumière de la foi, c’est que sa vie quotidienne est une vie de foi ; sa
nourriture intérieure est celle du calendrier liturgique, de l’Eucharistie fréquente
(quotidienne à une certaine époque pour le fidèle de la chapelle des
Bénédictins de la rue de la Source, à Paris, ou celui de la Basilique de
Verdelais), et de ce qu’on peut appeler la « lectio divina », à
laquelle s’accorde « la respiration » des Mémoires intérieurs comme celles de l’œuvre de fiction et de
l’œuvre « politique »,
soutenue par un constant retour à la source pure de l’enfance. Une forte
éducation religieuse de sa mère et de sa grand-mère Coiffard, des sœurs du
Mirail, des Marianistes de Grand-Lebrun a construit en lui des repères
inaltérables. A lire Mauriac, on se rend bien compte que, dès l’enfance, sont
associées dans sa vie quotidienne, l’imprégnation des pratiques liturgiques et
la connaissance des textes écoutés, lus, appris et récités par cœur … si
bien qu’on retrouve, tout au long de sa vie, cette relation entre lecture,
pratique, méditation et réminiscences émouvantes des temps essentiels
–primordialement celui du jour de sa première communion-, comme fil conducteur aussi bien de ce qu’il appelait sa
« vie apparente » que de sa « vie réelle », c’est-à-dire
intérieure. La foi de Mauriac s’est toujours appuyée sur la certitude de
posséder la force de la grâce donnée dès son enfance, pour mener le combat contre
le mal et le péché, puisque « Sous
la couche épaisse de nos actes, notre âme d’enfant demeure inchangée :
l’âme échappe au temps ».
Ce don de l’enfance qui préfigure l’éternité, Mauriac le
rattache à Bordeaux, mais aussi à Saint Symphorien. Beaucoup de textes
attestent cet enracinement qui devient une constante pour l’auteur et nourrit
une méditation éclairant la spiritualité de l’adulte. Retenons ces lignes
de Spiritualité des Landes :
« Présence spirituelle qui doit
d’être délicieuse à ce dépouillement total. Pureté de Pâques ! Cloches de
Saint Symphorien dans l’azur des vacances mortes. Premières langueurs qui
n’étaient pas encore périlleuses. Les pins du parc adoraient en silence
l’enfant un peu pâle qui venait de communier ». Et lisons surtout Le Jeudi-Saint pour comprendre
l’empreinte définitive créée par le conflit né de l’opposition entre l’attrait
d’une nature en plein renouveau qui pousse à succomber à la tentation et au
péché, et l’accueil de la Grâce et de la Résurrection de Pâques, qui exige de suivre le Christ et d’entrer en agonie avec
Lui. Ce dilemme douloureux marqua définitivement l’enfant sensible et dit à
l’adulte quel serait le combat spirituel qu’il aurait à mener tout au long de
sa vie. Je cite : « Le
renouveau de la grâce et celui de la nature se déchaînent dans un jeune
chrétien et entre ces deux printemps, commençait un singulier combat ».
Combat entre Cybèle et le Christ, entre Jacob et l’Ange, une terre d’argile et
une terre de cendre, l’élan des pins vers le ciel et les racines du chêne
profondément attachées au sol, –métaphoriquement aux biens matériels-. Les
images mauriaciennes sont nos guides sensibles et concrets pour nous faire
entrer dans un univers spirituel, identique chez l’homme et dans son œuvre,
chez les personnages de ses fictions.
L’homme et l’écrivain ont gardé ainsi de l’enfance le sens
exacerbé des perceptions propres à toucher la chair même, le cœur et le rythme
vital. L’écriture de Mauriac est d’essence poétique parce qu’elle est accordée
à la sensibilité spirituelle de son auteur héritée de son enfance. S’il ne
cesse d’affirmer que la source de la foi ne peut être que dans l’Incarnation et
par conséquent dans le sens de l’Eucharistie, c’est que, je le cite :
« C’est par l’Incarnation que j’ai
commencé, que le Dieu incarné s’est d’abord manifesté dans ma vie. Il m’est
impossible d’imaginer comment l’enfant que je fus aurait atteint Dieu vivant
sans le Christ. » Ce Christ, voici comment il le présente à Pâques
1934 dans un Appel aux jeunes lancé dans le Figaro : « Vous devez penser au Christ comme au seul
ami dont le regard pénètre votre vie la plus secrète, et jusqu’à cette part, en
vous, inaccessible à toute créature et peut-être ignorée de vous-mêmes. »
Que de pages de romans et que de personnages relèvent de cette relation intime
et de ce sens aigu d’une introspection spirituelle et métaphysique !
Les livres spécifiquement
« religieux » Dieu et Mammon,
Souffrances et bonheur du Chrétien, Pèlerins de Lourdes, La vie de Jésus, Ce
que je crois, Sainte Marguerite de Cortone, Le Jeudi Saint unissent
toujours la personne du Christ et le sens de l’Eucharistie dans l’approche
sensible de la foi : chaque acte religieux, de la prière à la communion et
à la participation à la liturgie, s’accorde avec ce que Pascal nommait « Dieu sensible au cœur » ; loin
de toute abstraction , il cherche une sorte de cœur à cœur avec le Christ
qu’il trouve dans l’Eucharistie, par un « état physique de grâce ». « Oui, cette petite hostie vous centre merveilleusement … Il n’y a
qu’elle au monde, que Jésus-Christ. Il est la seule Vérité. » écrit-il
à un ami.
Pour conclure, je vous exhorterai à vous référer à des
textes ancrés dans notre pays bazadais qui reprennent et condensent les accents
spirituels les plus forts, dans une admirable écriture portée par l’adhésion
sensible et concrète, je pense surtout à ce Jeudi- Saint, mais aussi aux Maisons fugitives, et à Ce
que je crois, et je laisserai à
votre méditation cet extrait d’une lettre adressée à sa fille Claire en
1963 : « Comprendre le pourquoi
de la vie telle qu’elle est, et du mal, il y a beau temps que je ne cherche
plus, que je pose ma tête sur la poitrine du Seigneur (c’est cela
l’Eucharistie), et je sens alors que tout est grâce », texte qui fait
écho à ces lignes de la Vie de Jésus
de 1935 : « Le disciple que
Jésus aimait, était rayonnant de génie, comblé des dons de l’Esprit. Sa tête
vient de s’appuyer sur la poitrine du Seigneur, et il est devenu un autre
durant cette minute infinie : le fils du tonnerre sera désormais le fils
de l’Amour. »
La foi de Mauriac se trouve résumée par cette image
évangélique qu’il a imprimée en lui pour sa vie entière, dont il retrace
toujours les contours dans sa vision intérieure en ne cessant
d’affirmer jusque dans son dernier roman (publié de façon posthume), Maltaverne: « Voilà le fond de tout…le christianisme tient tout entier dans cette
incroyable nouvelle que la créature est aimée de son Créateur »
De Saint-Symphorien à
Malagar, la route de Mauriac passe par la cathédrale de Bazas. C’est pourquoi
en 1960, il a accepté, à la demande de l’abbé Saule, de participer à un Son et Lumière (18 septembre 1960) évoquant l’histoire de cet édifice.
Mais indisponible au dernier moment, il a enregistré le texte que vous allez
entendre, et dont le texte manuscrit et sa dactylographie de Jeanne François
Mauriac sont déposés à la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet de Paris, où
j’ai eu le bonheur de les retrouver, il y a plus de 30 ans, et de les publier
dans les Cahiers du Bazadais n°70, en 1985. Comment mieux faire le lien avec ce
que croit profondément Mauriac : l’Eternité est visible, aussi, dans les
oeuvres que les hommes dédient à Dieu ..
Saint-Symphorien
et Bazas, 21 et 22 septembre 2013
____________________________________________________
© centre français de
spiritualité rosminienne / 5 novembre 2013