Antonio Rosmini
Expérience et témoignage
Centre français de spiritualité rosminienne
L’offrande de son propre sang :
Catherine de Sienne et Rosmini
par Pier Paolo Ottonello (*)
Les affinités de la spiritualité de
Catherine de Sienne et de Rosmini sont tout aussi considérables que
surprenantes, voire même au-delà de la sainteté catholique qui est la leur.
Mais il est vrai que la foule innombrable des saints, en leur incommensurable
variété, laisse entrevoir, en une réfraction indéfinie, la lumière amoureuse du
Bien absolu.
Enracinés dans les fondations de cette
Pierre disposée par le Christ, tous deux se sont fait « pierres scellées
avec le Sang », corps vivant de son Église, cette « cave du Sang, que
nous appelons "Sainte Église ", pour la distinguer des
aberrations de tant de ses composantes, et pour l’aimer héroïquement dans son
Maître et Époux : l’une en ne cessant puissamment d’exhorter plusieurs Papes à
entreprendre la « réforme »[1],
jusqu’à mettre un terme à l’"exil" avignonnais, et
l’autre, ayant été objet d’estime des papes qui régnèrent pendant sa vie, et
qui non seulement l’exhortèrent à écrire, mais, en conséquence proportionnelle,
en prirent ombrage. Ne commettons pas l’erreur de penser que l’époque de l’une
fût plus ou moins dramatique que celle de l’autre – du reste, à bien
considérer, existe-t-il jamais une période historique qui puisse apparaître
moins gravement dramatique qu'une autre? –, si nous pensons par exemple à la
prison que subit Pie VII, et à l’exil temporaire auquel fut contraint Pie IX,
et dans lequel il avait désiré la compagnie de Rosmini. La clef
particulièrement commune à eux deux est le Sang du Christ, auquel ensemble se
sont unis Pierre et Paul, sur la « chaire de la Croix », comme
« crucifiés avec le Christ », et en en portant à l’intérieur de soi
les stigmates[2] : Catherine,
quant à elle, recevant la grâce exceptionnelle des stigmates qu’elle avait
demandés cinq ans avant sa mort, plaies douloureuses, mais non sanglantes[3]
; et Rosmini, comme on le montrera à la fin, acceptant dans la sainteté, après
le martyr de persécutions toujours croissantes, celui de son propre sang.
De même, l’aménagement du parcours de
perfection révèle lui aussi de profonde similitude. Pour Catherine, il est
indispensable, par-dessus tout, de rester dans la demeure de sa cellule
intérieure, dans laquelle toute personne peut se connaître elle-même dans la
vérité de son propre « non être »,
subsistant uniquement par la bonté de Dieu, se nourrissant « des
fruits suaves de l’ardente charité », et
se voyant induite « à aimer
ce que Dieu aime, et détester ce qu’il déteste »[4].
Persévérant dans la cellule de la connaissance de soi, elle connaîtra les
affres du
Sang du Christ et ceci, « dans la veille de l’esprit, qui est de garder
les yeux de l’intelligence grand-ouverts de façon à veiller à la lumière de la
foi, en extirpant avec horreur les vanités du cœur ; en veillant ainsi de
l’amour» de la charité divine[5].
Elle trace ainsi le parcours, seule condition pour l’accomplir, de l’intégrale
perfection de soi dans ces termes qu'elle résume ainsi dans le Dialogue
: « Lorsque l’âme, avec l’aide du libre arbitre, s’efforce d’unifier ses
potentialités en mon nom, alors tous les actes posés par la créature seront
unifiés, les temporels comme les
spirituels. Le libre arbitre se libère alors des rets de la sensualité et fait
alliance avec la raison »[6].
Rosmini quant à lui, profondément convaincu – et conforté par les exhortations
pontificales à écrire pour le bien commun – qu’il était nécessaire de ramener
l’humanité du plus loin qu’elle s’était éloignée de sa voie principale,
c’est-à-dire, par dessus tout, d’user comme un levier de la raison, utilisée selon son ordre propre,
c’est-à-dire illuminée par l’intelligence naturelle et surnaturelle, Rosmini
donc fonda l’entier parcours de perfection, à la veille de la constitution de son Institut de la Charité, « dans
la connaissance de nous-même et dans la connaissance de Dieu » : et delà,
lui fut une « crainte et un découragement extrême », mais aussi
« une espérance infinie et un courage incommensurable »[7].
Et ainsi, « profondément convaincu que nous ne sommes rien et que nous ne
sommes capables de rien », nous nous consumons « au feu d’un amour
entier », car ce rien « suscite (la) miséricorde »[8]
de Dieu. Il écrivit ces mots en ayant fait depuis longtemps le sacrifice de sa
propre vie en étant « uni au sacrifice de Jésus »[9],
profondément conscient que « dans le sang (…) est contenu le mystère de la
foi et de l’amour »[10],
et qui est que « l’amour vrai est l’amour de sang. Amour et sacrifice sont
indissociables »[11],
ce qui correspond au savoir de Catherine de Sienne, lorsqu’elle soutient que
« comme l’amour croît, croît aussi la douleur et la souffrance »[12].
La cohérence radicale de tout ceci est
l’offrande totale de soi au Christ et à son Épouse, laquelle ne peut pas ne pas
revendiquer l’offrande de son propre sang dans le sang du Christ. Nous savons
que les écrits de Catherine, outre d’être déclarés rédigés avec le précieux
Sang, dégagent un parfum capiteux, jusqu’à en devenir obsédant. Je dois
confesser que pendant des années, je me suis tenu à distance respectueuse de leur lecture, en raison de cette
sanglante exsudation : mais la version en italien "courant " du Dialogue,
grâce au P. Paravagna, sous la direction de mon épouse, au moment même où je
traduisais quelques-unes des œuvres de saint Jean de la Croix[13],
m’a sans aucun doute aidé à comprendre qu’il s’agissait de ma réticence face à
la « tentation de l’extrême », c’est-à-dire que, peut-être encore, je
fais parti, pour parler comme Catherine, des « aveuglés » par l’amour
propre, qui « ont du mépris et du dégoût pour le sang »[14]. Et de fait, il n’est un seul de ses écrits
qui ne débordent extraordinairement en exhortations, parmi lesquelles, pour me
limiter à un seul exemple, je choisirai une réplique du P. Raimondo, son père
spirituel : « Noyez-vous dans le sang du Christ crucifié, baignez-vous
dans son sang, rassasiez-vous de son
sang, enivrez-vous de son sang, revêtez-vous de son sang, lamentez-vous sur
vous dans son sang ; réjouissez-vous dans son sang ; croissez et fortifiez-vous
dans son sang ; perdez votre faiblesse et votre cécité dans son sang »[15].
Et nous rappellerons son extraordinaire expérience auprès d’un condamné à mort
par décapitation – comme Rosmini lui-même en convertissant un célèbre condamné
à mort lui aussi – « je m’agenouillais, écrivit Catherine, et le
recommandais au Sang de l’Agneau (…). Alors il vit Dieu et l’Homme comme s'il
voyait la clarté du soleil, resta ainsi bouche ouverte et reçut le Sang par son
sang, (…) qui retrouvait ainsi sa valeur par le Sang du Fils de Dieu ». De
même, nous le savons, comme saintement
elle aspira à offrir son sang en martyr – « je meure en vivant, et je
demande la mort à mon Créateur, et ne la puis obtenir »[16]
–, et finit par se lamenter auprès du P. Raimondo du continuel délai de ce don
suprême : « je ne pus accomplir le désir de donner ma vie pour la vérité,
et pour la douce épouse du Christ ; mais les noces éternelles me jouèrent un
tour (…) qui me fit pleurer (…) de jamais mériter autre que mon sang dans cette
vie (…) ni que je puisse sceller une pierre avec mon sang dans le corps
mystique de la sainte Église » : lamentations qui se réduirent à la plus
simple invocation : « Sang! Sang! ».
Rosmini, à 29 ans, se préparant à donner
corps à la première rédaction des constitutions de son Institut de la Charité,
qu’il fondera en 1828, rédigea la summula des Maximes de perfections
chrétiennes adaptées à toute condition de personne, qui culmina ainsi :
« Reconnaître en soi son propre néant ». C’est en ce point le plus
haut, comme chez Catherine, qu’est la base de l’édifice entier pour s’adonner à
la perfection, et qui est ce savoir profond d’être, par nous-même, incapable de
quoique ce soit, sinon du mal, et, en même temps, enrichi du Sang de cet
« esprit d’intelligence » qui remplit de charité, nous rendant
capable alors d’embrasser « de grandes choses, infiniment épuisantes et
très dangereuses »[17].
En même temps, il tient pour ferme, d’une force absolue et limpide, le principe
selon lequel il est nécessaire « de penser tout d’abord à se corriger
soi-même avant de corriger son prochain »[18],
et qui correspond tout à fait à l’avertissement du Dialogue :
« l’âme ne peut rien apporter de vraiment utile à son prochain sur le plan
de la doctrine, de l’exemple et de la prière, si, tout d’abord, elle ne
parvient pas à être utile à elle-même»[19].
Ainsi, pour chacun d’eux, le principe
cardinal du parcours de perfection est l’offrande totale de soi, en vertu de la
Charité divine, dont l’amour humain n’est qu’une participation partiale et
passablement déformée. Il est donc manifeste que la très riche réalité que
résume Catherine dans le mot "amore" est la même que celle par
laquelle Rosmini choisit le terme "carità ", en raison de
la réduction toujours plus gravement sclérosante que le mot "amour" a
subie, et continue de subir, dans la modernité.
Rosmini, naturellement, reconnaît que
« la grâce la plus grande de toute » est de « donner notre
sang » pour la gloire de Dieu « bien que, ajoute-t-il, mon sang ne
vaille rien »[20]
; mais c’est seulement en très peu de cas, tout à fait exceptionnels, qu’il use
d’expressions très approchantes, qui pourraient apparaître - plutôt d'ailleurs
par déformation - de quelque façon excessive ou encore rhétorique. Nous n’en
citerons qu’une seule : « c’est folie de donner son propre sang en
témoignage de sa foi, comme l’on fait les saints martyrs. Oh, désirable folie,
qui me donnera une pareille folie! Et que cette folie me soit incurable, même
la plus excessive! Je te désire, moi qui soupire ainsi, je te prie chaque jour
avec les larmes du Seigneur, oh chère, oh précieuse, oh divine folie! »[21].
Quelques années auparavant, il approfondit sa réflexion sur l’offrande de sang,
considérant le martyr selon deux formes : « toute peine, tout
combat, toute agonie - écrit-il, (…), soutiennent les vrais amants
de Jésus Christ,(…) même lorsqu’ils ne
subissent pas une mort violente. Car celle-ci est un très grand sacrifice, mais
momentané. Les angoisses quant à elles sont continues »[22].
En réalité, il avait déjà médité sur ce thème dès les années de gestation de la
première mouture des Constitutions. Et c’est pour les préparer qu’il avait
étudié toutes les constitutions d’ordres et d’institut religieux depuis les
origines, comme nous le renseignent les milliers de pages de notes, quasiment
inédites jusqu’à présent et rassemblées sous le titre Directorium spiritus.
Concernant les deux accessions au martyr, Rosmini nous renvoie, entre autre, à
ce passage de Jean Chrysostome ( Sur l’épître aux Romains, 13) : «
Le bon pasteur, ainsi que le veut le Christ, est comparable aux innombrables
martyrs, parce que le martyr meurt une fois seulement pour lui, et ceux-ci, par
contre, mille fois »[23].
Pendant trente ans, jusqu’au moment de sa
mort, Rosmini s’attacha à perfectionner les Constitutions, qui, alors,
comprennent 1068 articles. Parmi ceux qu’il ajouta, l’on peut extraire une de
ses lettres datant de 1845[24],
faisant mention des articles 762 et 763 contenant l’instruction explicite
relative à « l’offrande de notre sang mêlé au sang du Christ
rédempteur ». Il précise entre autre : « nous désirons qu’une telle
offrande soit faite particulièrement avec humilité, en craignant et se méfiant
de soi-même, mais dans l’espérance grandement confortée par l’union au le sang
de notre Dieu et du Seigneur Jésus ». Et si quelqu’un, ajoute-t-il «
a une grande crainte ( car l’offrande ne doit pas être seulement une formule
extérieure) que le Père n’accepte l’offrande d’un sacrifice que celui-là n'est
pas en mesure de consommer, qu’il se recommande et s’abandonne dans les mains
de ce Dieu aimant, laissant à sa miséricorde d’accepter cette part de toute
notre offrande qu’il sait que nous pouvons sacrifier en son honneur par le
moyen de sa grâce, comme ainsi il nous concède la grâce que l’holocauste soit
complet (…), et comme tous les prêtres le renouvellent privément en offrant et
consommant le saint sacrifice de la Messe, et comme également tous les laïcs
dans la communion »[25].
L’importance d’une telle offrande lui suggère fréquemment de souligner qu’il
s’agit ici d’une dévotion « très difficile à faire en toute
sincérité », et sujette au « péril qu’il devienne une formalité
commune et affaiblie »[26].
La sincérité absolue avec laquelle Rosmini
pratique une telle dévotion ne peut être meilleur témoignage de la cohérence du
parcours que lui offrent les deux formes de martyr. Les premières persécutions
- autant plus gravement sournoises et dénigrantes, et même de la part du monde
clérical, que plus amplement augmentait l’estime de ses rencontres, en Italie
et à l’étranger, des Papes successifs, des évêques et cardinaux, des clercs et
de la population, et même des positions adverses ou différentes, - se firent jour dans la décennie où survint
l’approbation pontificale de son Institut, à mesure que celui-ci s’étendait
dans divers États et par-dessus tout s’accroissait en décisions caritatives :
très vite elles prirent la forme d’une authentique conjuration d’une petite
manipulation de religieux de plus en plus envieux. Et lorsque, ensuite, Rosmini
se trouva au centre de l’infâme enchevêtrement des événements romains de 48,
l’estime inconditionnelle manifestée publiquement par Pie IX ne lui épargna
pas, mais bien au contraire favorisa deux graves condamnations
" politiques " : la mise à l’Index de deux de ses œuvres, à
commencer par l’ouvrage qui dérangeait le plus, Les cinq plaies de
l’Église, comme les nominations manquées au titre de Cardinal et pas moins
à celui de Secrétaire d’État, nominations pourtant annoncées officiellement par
Pie IX et confirmées jusqu’en 1850. Mais en 51, une fois épuisée la première et
plus violente phase de la situation des États Pontificaux, se virent examiner toutes ses œuvres par la
commission de l’Index ; examen qui fut conclu le 3 juillet 54 lors d’une
réunion que Pie IX voulut présider lui-même dans le but de prononcer de sa propre bouche la "définitive" et
pleine sentence de délivrance, assortie ultérieurement d’un grand éloge de
Rosmini.
Au même moment, une fois acceptée dans une
tranquillité obéissante et une douceur complète, l’unique "pourpre"
de la passion du Christ, il s’engageait, entre autre, et avec force et netteté,
dans des journaux piémontais, contre la législation de cette époque sur le
divorce et l’école libre - une plaie suppurante encore aujourd’hui -
d’inspiration explicitement maçonnique. C’est alors que, à la fin de septembre
54, après un repas chez des parents de Rovereto, il confiait à sa belle-sœur,
sous le sceau du secret le plus absolu
: « on m’a empoisonné », et il donna le nom du mandant et de son
exécuteur. Quelques années auparavant, il avait subi deux attentats, sous ordre
maçonnique : cette fois-là, la dose diaboliquement calculée de cyanure
accomplit son but, le vouant à une mort certaine dans une irréversible
aggravation, avec des symptômes qui pouvaient grossièrement passer pour une
récidive inexplicable de sa toujours très sensible faiblesse hépatique. Il lui
fallut neuf mois pour atteindre sa nouvelle naissance. Il expira le dimanche 1°
juillet, journée fixée par le diocèse de Novare pour célébrer la fête du
précieux sang.
Rosmini parcourut dans une parfaite
conscience et tranquillité même cet ultime calvaire comme étant la volonté de
Dieu, sans l’ombre d’une plainte ni récrimination, multipliant les prières pour
ses ennemis, et, lors de l’offrande ultime de son propre sang, heure par heure,
en proie à des souffrances extrêmes, avec un doux sourire, il consolait même
ceux qui l’assistaient de leur affection, en leur disant : « ceci n’est
rien comparé à ce qu’à souffert le Seigneur », et les rassurant : «
après ma mort, les choses iront mieux qu’à présent ». Et de refuser de
s’unir aux prières pour la conservation de sa vie, en s’opposant aimablement à
ceux qui l’invitaient à le faire : « que le ciel me garde de faire cela!
Je ne veux que ce qu’il plaît à mon Dieu (…), j’aspire seulement à la
perfection ».
Il y a aussi deux autres aspects qui
soulignent l’affinité profonde entre Rosmini et Catherine, et qui d’ailleurs,
sont des traits propres de la sainteté : la préoccupation d’une guerre sans
merci contre l’amour propre, qui seulement ne peut se vaincre que par la grâce,
et par conséquent, se doit être combattu autant avec une netteté, une
détermination et une persévérance absolue que dans la sollicitude et l’amour du
prochain et de la sainte Église. Rosmini exhorte sans répit à être
« éternellement insatisfait et incandescent » dans la guerre contre « la
cécité d’esprit », et « l’orgueil secret »[27],
spécialement dans les formes les plus sournoises de faire son propre vouloir
« sous prétexte de charité »[28],
à mettre en déroute en se faisant « prompt et ardent (…) comme le
lion », mais avec la plus grande patience, la « suavité et la douceur
d’esprit », « la sérénité » dans la quiétude de la grâce, qui
est aux antipodes de la « quiétude oisive »[29]
: et donc, « sans hâte » ni précipitation ou impatience, dans
« un ordre qui exclut toute anxiété ou toute confusion », mais avec
une sollicitude absolue, « en volant » le temps, parce qu’il est
« très précieux » et très fugace[30].
Temps qu'il est donc nécessaire d'engager à courir au combat avec des actes et
des œuvres, plutôt que des paroles, fussent-elles de formelles patenôtres[31]
: pour ne pas devenir « hommes de vents », comme l’avertissait
Catherine, exhortant à ne jamais choisir de sacrifice de son propre arbitre,
mais uniquement ceux indiqués par Providence, et éclairés « par la lumière
de la raison », et donc, dans « une parfaite discrétion » plutôt
qu’en vue de sa propre satisfaction[32].
Disons en substance, que ce n’est autre, en
fait, que l’amour propre qui est le « principe et le fondement de tout
mal », et qui « empoisonne le monde entier et a affecté jusqu’à l’infirmité
le corps mystique de la sainte Église », étant donné que « les hommes
du monde, en toute circonstance, veulent contaminer mes opérations et les
entendre selon leur petite intelligence », selon le diagnostic du Dialogue[33].
Catherine prodigue le propre « sang trempé dans le feu »,
« épandu avec un feu d’amour », grâce auquel « elle crie
silencieusement avec le cri de la patience »[34],
exhortant avec la plus grande et ardente énergie papes et puissants de ce
monde, elle, une simple laïque illettrée, considérant « chaque état (…)
adapté pour rejoindre la vie éternelle »[35],
– et Rosmini en ceci est également unanime – à la condition qu’il s’agisse
d’aimer totalement non « soi pour soi », mais « soi pour Dieu,
et Dieu pour Dieu, et le prochain pour Dieu »[36]
: synthèse admirable, qui intègre celle-ci, si précieuse, qui est que, même
dans cette vie, l’homme « s’il se domine lui-même, domine le monde
entier »[37]. Et
Rosmini, et, certes, non seulement avec ses propres écrits – que finalement
nous devons reconnaître en pleine continuité avec Augustin et Thomas –, se
consume entièrement pour le bien de la sainte Église. Bien conscient, entre
autre, que, de même que sainteté et doctrine, dans les séminaires, sont, comme
il l’écrit, « trop mutilées, telles des lacérations sur un
cadavre », de même, les institutions religieuses, avec le temps, tendent à
verser dans un vice d’autant plus horrible, lorsque « elles se couvrent du
manteau de la sainteté », se transformant « en autant de
sectes », et qui fait que, par conséquent, en particulier, une certaine
« mauvaise conduite des clercs (…) est une des plus grandes sources de
l’incrédulité moderne »[38].
(*) article extrait de :
PIER PAOLO OTTONELLO,
Caterina da Siena, Sangue Nostro, Biblioteca di Filosofia Oggi,
seconda serie, dir. PP Ottonello, L’Arcipelago, Genova,
2010.
Traduit de l’italien par
Marie-Catherine Bergey Trigeaud
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© Centre français de spiritualité rosminienne / 1 juillet 2012
[1] Expression
typique du Dialogue, S. CATERINA
DA SIENA, Il Dialogo della
divine Provvidenza (D), version en italien courant de M. A.
Raschini, Milano, San Paolo, 2007, p. 62. Lorsque la page n'est pas indiquée,
les références sont les numéros qui répartissent l'œuvre.
[2] Gal., II, 19, VI, 17.
[3] Cf. JACQUES DE VORAGINE, La Légende dorée, II,
chap. 6.
[4] S. CATERINA DA SIENA, Epistolario (E), a cura di
U. Meattini, Roma, Paoline, 1972, 3 vol., dont seuls les numéros seront cités,
et ici : 73, 74, 185.
[5] D, pp. 156-158.
[6] D, pp. 136-137.
[7] A. ROSMINI, Epistolario
ascetico (EA), Roma, Tipografia del Senato, 1911-13, vol. 4, ici : vol. I, n. 81, p. 182 (1827).
[8] EA, I, n. 74, p. 169
(1827) ; n. 104, p. 225, 29 febbraio 1828.
[9] EA, I, n. 92, p. 204
(1827).
[10] A. ROSMINI,
Storia dell'amore e dell'odio cavatta dalle divine Scritture, vol. 52
dell'Ed. Naz. Crit. A cura di A. Valle e U. Muratore, Roma, Città Nuova, 2002,
p. 97. (Version française : Histoire de l'amour, tirée des Livres Saints,
éd. Perissé, Lyon-Paris, 1838, p. 150, chap. 32, où il est question des
offrandes au Seigneur que prescrit Moïse aux Hébreux : "Dans le sang est donc renfermé le mystère de la foi et de
l'amour, He. 4", NDT)
[11] A. ROSMINI,
Lo spirito dell'Istituto della Carità, Discorso II, in Operette spirituali,
vol. 48 delle Ed. Naz. Crit., a cura di A. Valle, Roma, Città Nuova, 1985, p.
23.
[12] D, p. 29.
[13] La version en italien "courant" du Dialogue
sous la direction de Maria Adélaide Raschini parut en 1989, à Bologne, Ed.
Studio Domenicano, et fut plus d'une fois rééditée, l'édition citée ici est la
plus récente. Ma traduction des Poesie, de la Salita del Monte
Carmelo, et de la Notte oscura parut en 1993, ainsi que le volume
des Opere di S. Giovanni della Croce, Torino, Utet, dans la
section "La religione cattolica", des "Classici della
religione", qui fut rééditée l'année suivante à la TEA de Milano. Voir
aussi mon "Ontologia e mistica", Venezia, Marsillio, 2002.
[14] E, 87.
[15] Id., 333.
[16] Id., 214.
[17] A. ROSMINI, Massime di perfezione cristiana (M), vol. 49, Ed. Naz. Crit., a cura di A. Valle, Roma, Città
Nuova, 1976, p. 63. (voir vers. fr. sur ce site : http://www.rosmini.fr,
trad. M.-C. Bergey-Trigeaud, ndr).
[18] Id, p. 59.
[19] D, p. 18.
[20] EA, I, n. 211, p. 406
(1831).
[21] Id., III, n. 1175, p. 347 (1830).
[22] Lo spirito dell'Istituto della Carità, op. cit. p. 86.
[23] Cf. A. ROSMINI, Costituzioni, vol.
50 dell'Ed. Naz. Crit., a cura di D. Sartori, Roma, Città Nuova, 1996, p. 601.
[24] EA, III, n. 905, p.
220 (1845).
[25] Costituzioni, op. cit. p. 601.
[26] EA, III, n. 874, p.
174 (1845).
[27] M., pp. 37 et 45.
[28] EA, I, n. 120, p. 247
(1828).
[29] M., p. 91, EA, I, n.
312, p. 576 (1844).
[30] EA, I, n. 191, p. 362 (1830) et III, n. 900, p. 213
(1845) ; E, 314 et 5.
[31] Cfr. EA, III, n. 846,
p. 136 (1844) ; III, n. 854, p. 149 (1844).
[32] E, 213, 256, 361 ; D, pp.
37-39, 42, 48, 354.
[33] D, pp. 33, 228.
[34] E, 318, 346, 284.
[35] D, p. 125.
[36] E, 208.
[37] E, 259.
[38] EA, II, n° 569, p. 304 (1838) et III, n. 911, p. 230
(1845).