ANTONIO ROSMINI
Des cinq plaies de la sainte Église
Extraits
Chapitre
I
De
la plaie qui est dans la main gauche de
la sainte Église :
la
division entre le peuple et le clergé dans le culte public
5.
L’Auteur de l’Évangile est l’Auteur de l’homme. Jésus Christ est venu sauver
tout l’homme, cet être qui est à la fois mélange de corps et d’esprit.
La loi de la grâce et de l’amour devait alors pénétrer et s’imposer, pour ainsi
dire, autant dans la partie spirituelle que dans la partie corporelle de la nature
humaine ; aussi cette loi devait-elle se présenter au monde telle qu’il
puisse obtenir cette fin, et elle devait être mélangée elle aussi en étant
composée en partie d’idées, en parties d’actes, et, de sa parole à la fois
souveraine et vivifiante, en s’adressant tout autant à l’intelligence qu’au
sentiment, de telle sorte que tout ce qu’il y a d’humain, jusqu’à ses os,
puisse écouter la volonté de son Créateur et en être vivifié.
6. Il ne suffisait pas encore que l’Évangile
pénètre tout l’homme en tant qu’individu. La bonne nouvelle étant adressée à
l’humanité entière pour la sauver, elle devait non seulement agir sur les éléments de la nature humaine,
mais devait aussi accompagner de son action divine cette même nature, sans
jamais l’abandonner dans tous ses développements mais en la soutenant dans tous
les états successifs par lesquels elle passerait, afin que son penchant vers le
mal ne la précipite pas vers la destruction, mais que préside à son mouvement
une loi bénéfique de perfectionnement progressif. En somme, la bonne nouvelle
devait s’immiscer et se développer dans les individus humains et de ceux-ci,
s’introduire dans les associations qu’ils forment ; elle devait régénérer
et sauver toute société humaine, la famille, la nation et l’entière communauté
humaine ; et, après avoir sauvé l’homme, elle devait imposer des lois
salutaires à toutes ces communautés et les dominer au nom du Dieu pacifique,
parce que les sociétés sont l’œuvre de l’homme, et cette loi divine qui domine
l’homme, domine aussi ses œuvres. ...
De
la plaie qui est dans la main droite de la sainte Église :
l'insuffisante
formation du clergé
... 24. La prédication et la liturgie
étaient, aux plus beaux temps de l’Église, les deux grandes écoles du peuple
chrétien. La première instruisait les fidèles par la parole, la seconde avec
les paroles unies aux rites ; et, parmi ceux-ci, principalement ceux
auxquels leur divin Instituteur avait ajouté des effets particuliers
surnaturels, et qui sont le Sacrifice et les Sacrements. Autant l’une que
l’autre de ces instructions était complète : elle ne s’adressait pas à une
partie de l’homme, mais à tout l’homme, pour, dirions-nous, y pénétrer et le
conquérir. Cela n’était nullement une de ces voix qui se faisaient entendre
uniquement à l’esprit, ou un de ces symboles qui n’auraient de puissance que
celle des sens. Mais soit par la voie de l’esprit, soit par celle des sens, les
unes et les autres remplissaient le cœur du chrétien pour y insuffler un
sentiment élevé sur toute la création, mystérieuse et divine. Ce sentiment
était opérant et omnipotent comme la grâce qui le constituait, parce que les
paroles de la prédication évangélique étaient celles des saints qui
transvasaient sur leurs auditeurs cette abondance de l’esprit dont ils
débordaient. Et les rites efficaces en eux-mêmes le devenaient davantage encore
grâce à la si bonne disposition des fidèles préparés à recevoir les effets
salutaires de la parole des pasteurs et de l’intelligence claire de tout ce qui
se faisait et qu’ils faisaient eux-mêmes dans l’Église. ...
... 41. Mais si de petits livres vont de
pair avec de petits maîtres, pourra-t-on avec ces deux éléments former une
grande école, pourra-t-on avoir une méthode digne d’enseignement ? Non ;
et le défaut de méthode est la quatrième et dernière cause de cette plaie de
l’Église dont nous allons parler, et qui est l’insuffisante éducation du clergé
de nos jours.
Nous avons dit que les habitudes du clergé ont disparu
dans l’Église à l’époque où l’on a dissocié dans les écoles la formation du
cœur de celle de l’esprit. Plus tard, on pensa à remédier à une invraisemblable
débauche, effet naturel de cette séparation ; et, à présent, dans nos
séminaires bien réglés, on a réintroduit les bons comportements, ou, du moins,
une vie plus régulière. Mais on a perdu de vue la racine du mal, on ne pense
pas à cette séparation funeste de la théorie d’avec la pratique, on ne se
soucie plus de former les maîtres pour en faire des pères, car « pour être
père, disait Chrysostome, il ne suffit pas d’avoir engendré, mais il convient
tout autant d’avoir bellement éduqué son enfant ». Tout ce que l’on a
fait, c’est d’avoir placé des étais, si l’on peut dire, pour venir en aide aux
comportements décadents. Mais, à la vérité, cela ne suffit pas à l’Église :
il est nécessaire que les bonnes habitudes des ecclésiastiques trouvent leur
racine et leur nourriture dans la solidité et la plénitude de la doctrine du
Christ. L’on n’entend pas, en effet,
former simplement des hommes honnêtes, mais des chrétiens et des prêtres
illuminés et sanctifiés par le Christ. C’était le premier principe et tout le
fondement de la méthode qui était utilisé dans les premiers siècles où
science et sainteté étaient très étroitement unies, l’une naissant de l’autre.
Et même, véritablement au sens propre, on peut dire que la science naissait de
l’unité, parce l’unité se voulait celle qui, par amour, se porte à la
science ; et la science se voulait être telle qu’elle contienne la
sainteté dans ses viscères, et ne se voulait autre qu’ainsi ; de la sorte,
tout était unifié. C’est dans cette unité que consiste précisément
l’authentique nature de la doctrine destinée à sauver le monde : elle
n’est pas une pure doctrine idéale, mais elle est vérité pratique et réelle.
C’est pourquoi, si l’on retire la sainteté de la science, qu’y restera-t-il de
cette sagesse qu’a enseignée le Christ ? L’on ne se trompe pas de le
croire : nous qui nous prétendons être sages, nous serions stupides de
prendre pour la doctrine du Christ une vaine et morte image de celle-ci, qui
serait vide de force et de toute vie. ...
De la plaie du côté de la sainte Église :
la désunion des évêques
47. Le divin Auteur de l’Église, avant de quitter le
monde, avait prié le Père céleste afin que ses disciples forment une unité
parfaite, comme lui et le Père forment la plus parfaite unité, ayant une même
nature. Cette unité si sublime, dont parlait l’Homme-Dieu dans cette prière
merveilleuse qu’il fit après la cène, peu de temps avant sa passion, était
principalement une unité intérieure, une unité de foi, d’espérance, d’amour.
Mais à cette unité intérieure, qui ne peut absolument jamais manquer dans
l’Église, devait répondre l’unité extérieure, comme l’effet à la cause, comme
l’expression de la chose ainsi exprimée, et comme le bâtiment au projet et au
plan sur lequel il doit être édifié. « Un corps et un esprit », dit
l’Apôtre, ce qui comprend tout, parce que dans le corps est signifiée l’unité
dans l’ordre des choses externes et visibles, et dans notre esprit l’unité dans
l’ordre des choses qui sont cachées aux yeux du corps. « Un seul Seigneur,
ajoute-t-il, une seule foi, un seul baptême : un seul Dieu et Père pour
tous, au-dessus de tout, pour toutes les choses, en nous tous ». Voici à
nouveau l’unité de la nature humaine, comme fondement admirable de l’unité que
doivent former les hommes dispersés que le Christ a rassemblés sous ses ailes,
comme la poule rassemble ses poussins pour former une seule Église ; et
voici la source de cette unité de l’épiscopat dans l’Église du Christ, qui fut
si hautement ressentie par les premiers évêques, et que saint Cyprien exprima
avec des paroles éloquentes dans le livre qu’il avait justement intitulé :
« De l’unité de l’Église »....
.... 71. Oui, il faut en finir avec une Église nationale
dans laquelle l’épiscopat ne se considère plus comme le corps des pasteurs mais
comme le premier de l’état, en n’étant devenu qu’un magistrat politique, un
conseiller de l’État, ou une troupe de courtisans ; car cette
nationalisation de l’Église qui existe dans les faits bien avant que dans la
forme, est absolument à l’opposé de toute catholicité, elle en est la
destruction complète. Comment le chef de l’Église catholique, jaloux de
l’épouse du Christ, en est-il venu à fraterniser de si bon cœur avec pareils
évêques nationaux ou royaux ? Ne trouve-t-on pas dans cette seule question
la raison la plus importante des limites mises par les pontifes romains au
pouvoir des évêques, et des réserves pontificales qui furent pourtant l’objet
de tant de querelles et de tant de calomnies ? Ou bien n’aurait-on pu
trouver d’autres moyens de sauver l’Église de la dissolution de toutes ses
parties, de la division de tous ses évêques, hors de rendre plus fort et plus
actif le centre de celle-ci ? N’était-il pas urgent en pareilles
circonstances, que le chef des évêques resserre à temps les rênes qu’il avait
si misérablement lâché de ses mains, avant que le carrosse céleste ne se
précipite dans le gouffre ? Il est un fait que, s’il reste encore quelque
liberté dans l’Église (et sans liberté, l’Église n’existe pas mieux qu’un homme
privé d’air), ce peu qui reste n’est pas du côté des évêques assujettis aux
princes catholiques, mais est entièrement concentré sur le Siège romain,
excepté peut-être la liberté dont jouit l’Église dans les États-Unis
d’Amérique, ou dans d’autres régions non catholiques dans lesquelles le
catholicisme respire encore librement en quelque façon. Je dis en quelque
façon, parce que tout y est fait, tout s’y fait pour jeter dans l’ignominie des
fers universels même le pontife romain ; et si celui-ci est libre, il ne
l’est que de jour en jour, et toujours épuisé par ceux qui le combattent ;
il est libre, mais comme un Sanson au milieu des Philistins, pourvu qu’il brise
à chaque instant et d’une manière qui tient du prodige les chaînes toujours
nouvelles qui se multiplient autour de lui. Toutefois, il est libre ; oui,
il est encore libre malgré toutes les transactions qu’il est contraint
douloureusement de faire avec ces « rois de la terre qui se tiennent
autour de lui, avec ces princes qui se sont accordés ensemble contre le
Seigneur et contre son Christ » ; mais justement parce qu’il est libre,
justement parce qu’il est indomptable, la vertu qui le soutient doit être
supérieure à la puissance des hommes par ceci que « les gentils frémissent
et que les peuples méditent sur des choses vaines » ; justement par
ceci que toute la terre se lève, et que sur lui seul tout l’enfer se déchaîne
et n’a d’autre roc inexpugnable sur lequel envoyer ses machines ;
justement par ceci encore que tant de dissensions entre les hommes se calment
subitement où il s’agit de s’unir contre le chef visible de l’Église. Et
justement, par ceci enfin que ce ne sont pas véritablement les impies, ni les
hérétiques, ni les renégats, mais les évêques, mais les clercs auliques et
nationalistes qui, dans le secret, n’ont autre objet plus odieux, plus
abominable que leur père commun, l’évêque de Rome ; parce qu’il est
l’unique obstacle qu’ils rencontrent encore sur le chemin de la dispersion
qu’ils ont emprunté par ignorance, par infirmité, par préjugé, par corruption,
par malice infernale, une voie qui conduit à l’apostasie, à la vente du Christ,
au désespoir de Juda ; et qui ne comprendront jamais rien ! Pour tant
de malheurs de l’épouse du Rédempteur, les fidèles disciples du Maître trompé
n’auraient eu aucun réconfort, si avant d’être crucifié celui-ci ne leur avait
laissé ces paroles : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai
mon Église et les portes de l’enfer ne pourront rien contre elle »....
De
la plaie du pied droit de la sainte Église :
la
nomination des évêques abandonnée au pouvoir laïc
... 74. Toute société possède, de façon
essentielle, le droit de choisir ses propres ministres. Ce droit lui est aussi
fondamental et inaliénable que celui d’exister. Une société qui a concédé à
d’autres mains le choix de ses ministres, s’est ainsi aliénée qu’elle n’a plus
d’existence propre : celui dont dépend le choix de ses ministres, peut la
faire exister à son gré, et la supprimer d’un moment à l’autre ; et si
elle existe, elle n’existe pas pour elle-même, mais pour lui et par son bon
vouloir, ce qui lui confère une existence apparente et précaire, et non une
existence authentique et durable.
75. Mais s’il se trouve sur la terre une société qui a le
droit d’exister, ce qui revient à dire qu’elle a le droit d’être libre, il en
est certainement une pour tous les catholiques, et qui est l’Église de Jésus
Christ parce que ce droit, elle l’a reçu de la parole immortelle de son
divin fondateur ; cette parole, qui survit au ciel et à la terre, il l’a
garantie par ces mots : « Je suis avec vous jusqu’à la fin des
siècles ». L’Église de Jésus Christ ne peut alors céder à d’autres mains
son propre gouvernement, elle ne peut vendre ni aliéner en aucune manière à qui
que ce soit le choix de ceux qui la gouvernent, parce qu’elle ne peut se
détruire elle-même ; et toute atteinte à ce principe absolu serait
inadmissible en soi, et serait un contrat vicié à l’origine, un pacte nul comme
est nul tout accord inique. ...
... 77. Il est vrai que le gouvernement institué par
Jésus Christ n’étant pas une domination terrestre, mais un service en faveur
des hommes, un ministère de salut pour les âmes, il n’est pas régi par
l’arbitraire d’une dure autorité, et ne se prévaut pas d’un droit brutal ;
mais il est flexible, et, fondé sur l’humilité et sur la raison, il reçoit la
loi, pour ainsi dire, de ses sujets à l’avantage desquels il a été institué, et
son admirable constitution est vraiment celle de pourvoir toute chose pour le
bien et aucunement pour le mal : telle est sa seule supériorité, le seul
droit dont elle peut se vanter, le droit de servir. D’où ce principe plein de
douceur propre au gouvernement ecclésiastique, qui s’est manifesté en toute
chose dans les premiers siècles de l’Église, et en particulier dans le choix
des premiers pasteurs, et qui était ceci : « Le clergÉ est juge, le peuple conseiller». Car, où il se fut agi d’un droit rigide et strict, le
peuple n’aurait pris aucune part dans le choix des évêques ; mais parce
que sagesse et charité présidaient à l’exercice du droit que ceux qui
dirigeaient l’Église avaient reçu du Christ, et le tempéraient en
l’adoucissant, aucun de ses sages prélats ne décidaient rien arbitrairement,
préférant, comme le Christ lui-même l’avait enseigné, le témoignage et le
conseil d’autrui, et ils jugeaient que le conseil le meilleur, le conseil le
moins passible d’erreur, était sûrement celui du corps entier des fidèles. De
la sorte, l’Église des croyants opérait comme un seul homme ; et, bien que
dans cet homme, la tête se distinguât des membres, elle ne repoussait pas le
service des membres, ni ne se coupait d’eux par la volonté d’être seule et
indépendante. Il en résultait que les peuples pouvaient manifester leurs désirs
quant aux choix des évêques et des prêtres ; et qu’il n’était que trop
raisonnable que ceux qui devaient abandonner le soin de leur âme (quand je dis
âme, je dis tout ce que l’on peut dire en parlant du peuple dans lequel la foi
est vivante) aux mains d’un autre, sachent quel homme il était, et aient
confiance en lui, en sa sainteté et en sa prudence. ...
De la plaie du pied gauche de la sainte
Église :
la servitude des biens ecclésiastiques
... 164. Il est vrai que l’Église, tantôt persécutée, tantôt
oppressée, mais toujours en lutte avec le pouvoir temporel ami comme ennemi,
et, en outre, toujours occupée aux soins si graves du bien des âmes, n’a jamais
de temps suffisant pour perfectionner l’administration de ses biens, pour établir un système économique bien organisé et défendu.
Que si l’on considère combien l’Église a reçu dans sa vie au cours des siècles,
il est impossible de dire ce que serait l’Église si ses biens temporels avaient
toujours été sagement administrés. Mais la force de l’esprit humain est limitée
et elle n’est jamais parvenue à accomplir en même temps deux entreprises
différentes, bien que liées entre elles : le but spirituel de l’Église
devait absorber nécessairement toute son attention, et elle ne pouvait en même
temps être trop sollicitée par la bonne gestion de la partie matérielle jusqu’à
tant que sa législation disciplinaire (celle qui regarde directement le salut
de l’âme) n’ait été d’abord pleinement établie, et que l’expérience ne lui eut
démontré le dommage incalculable qui, par la négligence de la partie
matérielle, affectait la partie spirituelle. Maintenant, je suis convaincu
qu’au commencement, ceci ne fut pas possible, et que l’on ne songea même pas à
y remédier, comme le confirme l’exemple du Christ, qui dut supporter un
administrateur infidèle parmi ses apôtres eux-mêmes, de telle sorte, me
semble-t-il, que ceci serve de témoignage que rien ne devait le distraire de la
dimension spirituelle, pas même le danger des préjudices temporels. Et ici
enfin, nous conclurons que, pour autant que l’on raisonne, il en résulte à
l’évidence, que, lorsque Pascal II avait fait la proposition généreuse de
renoncer aux fiefs, le grand homme avait porté un coup à la racine de la
mauvaise plante, mais son âge lui donnait une complexion trop fragile pour
soutenir pareil remède. ...
Sur les élections épiscopales par le
clergé et le peuple :
lettres d’Antonio Rosmini, prêtre
... Le droit divin moral se réduit au droit qu’à l’Église
d’être libre, comme en toutes ses fonctions, jusqu’à l’élection de ses propres
pasteurs, et au devoir qu’on tous les fidèles, de quelque dignité ils soient
revêtus, mais, comme toutes les sociétés, de la laisser parfaitement libre.
Cette liberté, n’est-elle pas de droit divin ? L’Église fut-elle la
première à tendre spontanément ses mains pour qu’on lui mette les
chaînes ? Ou, plutôt, ne fut-ce pas toujours la violence des hommes qui,
en foulant au pied le droit divin de la liberté de l’Église, tenta par tous les
moyens de la spolier de sa liberté essentielle, par la violence, par la
séduction, ou par les doctrines légales les plus vétilleuses ? L’Église
n’a-t-elle pas dû subir tant de fois les limites mises à ses libertés
naturelles, pour éviter des maux plus grands ? Et dans le fait des
élections, l’Église ne fut-elle pas celle qui offrit spontanément la nomination
à tous les sièges épiscopaux de certains États au pouvoir laïc, non sans avoir
consenti à ce sacrifice après de trop longues luttes, dans les circonstances
les plus difficiles ? L’histoire est ouverte à tous et l’histoire justifie
pleinement l’Église. ...
Lettre II
... Si la justice est l’unique
fondement le plus solide du trône, que les princes commencent à être justes
envers l’Église, envers laquelle ils doivent aussi être généreux : avec
cette Église qui fut avant eux, et qui sera après eux : qu’ils commencent
à désirer sincèrement qu’entre eux et le peuple, il y ait des arbitres
impartiaux, pacifiques, autorisés, aimants et aimés des deux partis : tels
seront les évêques nommés librement par qui de droit, sans intervention du
prince, duquel l’on n’a certainement rien à craindre s’il veut la justice, mais
qui est beaucoup plus à craindre s’il veut le pouvoir. Mais il n’y a bien plus
grand pour un prince juste et grand d’avoir de tels hommes, des ministres de
Dieu de la paix et de la justice, qui lui disent sincèrement la vérité. ...
Lettre III
.... N’en ayant pas moins médité, et même longuement, je
n’ai trouvé ni illicite ni injurieux envers l’Église d’exprimer un sentiment
privé. Il est au contraire une habitude dans la gestion de l’Église, qui est de
ne se décider à de grandes réformes qu’après qu’elles aient été proposées à
plusieurs reprises et désirées par tous et que l’on eut maintes fois discuté de
leur utilité et de leur nécessité. Et il arrivait que, avant de se décider,
même lors de conciles généraux, l’on requiert le vote de théologiens privés,
afin d’être conduit par la sagesse inspirée. Je ne veux pas du tout laisser
inachevé le raisonnement que j’ai commencé, mais il me faut satisfaire de
quelque manière à votre seconde demande, pouvant, pour une chose si importante
pour le bien de l’Église, dire moi aussi avec l’ami de Job : conceptum sermonem tenere quis poterit ?
...