Maximes de Perfection
Chrétienne
communes à tous les Chrétiens
Leçon VII
Sixième maxime
Ordonner toutes les actions de
sa vie avec l’esprit d’intelligence
1. Le
Chrétien ne doit jamais marcher dans les ténèbres, mais toujours dans la
lumière
2.
Aussi, à cette fin, doit-il, en des prières constantes, demander à
l’Esprit Saint le don d'intelligence avec lequel il pourra pénétrer et
comprendre les vérités sublimes de la foi ; le don de sagesse, avec
laquelle il pourra juger correctement des choses divines ; le don de science
au moyen de laquelle il pourra juger correctement des choses humaines ; et
enfin, le don du bon conseil, avec lequelle il pourra se diriger
lui-même, en appliquant les vérités connues aux œuvres particulières de sa vie.
3. Le
Chrétien doit faire preuve de gravité, de prudence et de maturité en toute
chose : il évitera toute hâte et toute précipitation, qui sont propres à
l’homme du monde et contraires aux dons cités plus haut, et qui procèdent d’une
volonté humaine pleine de cette anxiété qui nous ôte la paix à laquelle nous
exhorte continuellement notre divin Maître.
4.
L’esprit d’intelligence fera penser sans cesse à l’amendement de
soi-même, avant et plus qu’à celui de son prochain. Examinons donc ce que l'on
doit faire d'abord pour soi-même (I), et ce que l'on doit accorder ensuite à
son prochain (II).
5. A. -
En ce qui concerne l’amendement et la perfection de soi, l'on reconnaîtra
facilement la manifestation de la volonté divine, quelles que soient les
circonstances aux quelles on se trouve confronté.
Selon ce principe, dont on peut être absolument certain, il
faut comprendre que :
I. La première chose voulue par Dieu est
d’exercer fidèlement avec zèle et rectitude tous les devoirs de son propre
état. Il convient donc d'assumer toutes les relations qui nous lient aux autres
hommes avec toute la douceur, les précautions et la bienveillance que
nécessitent naturellement ces relations, de telle sorte qu'aucune d'entre elles
n'ait de reproche à nous faire. Et, tout en évitant, par l’amour de la
retraite, de traiter avec les personnes envers lesquelles nous n’avons aucune
obligation, il faut prendre soin que la conversation avec celles avec
lesquelles l'on se trouve, soit exemplaire, pleine d'une sainte gentillesse et
de solide édification.
6. Ce même principe, qui est de correspondre à
l’état assigné par Dieu et de bien occuper tout son temps, nous fera aimer le
travail, et quelque que soit notre profession ou notre occupation, nous devons
l'accomplir avec soin. Ils nous permettront ainsi de faire des progrès, que
nous regarderons comme un mérite auprès de Dieu, et comme le signe qu'il s'agit
bien là de l'état où la volonté de Dieu nous a placé.
7. De même, si nous nous dédions aux études,
nous nous y consacrerons non uniquement par amour pour ceux-ci, mais par amour
pour Dieu que nous servons ainsi ; et si nous avons dans les mains un
métier pratique, nous nous y consacrerons dans le même esprit. Le Chrétien ne regardera
jamais un emploi comme plus noble ou plus méprisable qu’un autre, car tous
servent également Dieu.
Chacun travaillera dans sa partie, comme les
ouvriers ayant le même patron : chacun reçoit le même salaire à la fin de
la journée, non en fonction de la qualité du travail exécuté, mais selon la
fidélité, l'assiduité, le soin et l’affection dont il fait preuve envers son
Maître en l’exerçant.
8. II.
Après les devoirs de son propre état, (et la pratique de la religion en
fait partie), nous occuperons le temps qui reste en des lectures aptes à
nous instruire dans la religion, et à nous fournir matière à méditer la
grandeur de Dieu, sa bonté infinie, sa puissance et sa sagesse.
Le plus souvent possible, il faut tâcher de
pratiquer l'oraison, même pendant l’exercice de sa profession ou de ses
occupations. Cette oraison deviendra alors la chose la plus familière et la
plus précieuse. Et les heures passées à exercer l'oraison se transformeront en
des heures de délices et de grâce : l'homme, aussi misérable qu’il soit, sera
introduit à l'instant même à l’écoute de son divin Seigneur, et admis à
converser directement avec Lui.
9. III. En troisième lieu, l'on peut occuper
une partie de son temps aux nécessités corporelles, et la première d'entre
elles, la nourriture, qui doit être sobre et non recherchée, et le sommeil, qui
doit être réglé selon une juste modération.
10. - L'on s'accordera également un repos réglé
en fonction de sa fatigue : Jésus Christ lui-même en a donné l’exemple en faisant tout ce qui était nécessaire à sa
propre subsistance et à son repos, comme il le fit par exemple en
s'endormant sur une barque ou
s'asseyant au bord d'un puits en Samarie.
11. IV.
Enfin, en quatrième lieu, ni les circonstances de son état, ni les
relations qui le lient à ses semblables ne devraient faire obstacle à
l’exécution des conseils évangéliques, la pratique de la pauvreté, de la
chasteté, et de l’obéissance : le Chrétien soucieux de ressembler le plus
possible à son divin exemple, et de ne négliger aucune des choses recommandées
par son Seigneur comme appartenant à une vie de perfection, adoptera donc ces
conseils de toute son âme. Mais il les adoptera ou en totalité, ou, du moins,
seulement en partie, en fonction de ce que lui permettront les circonstances.
12. B. Le Chrétien, comme il a été dit, ne
prétend pas à faire quoique ce soit de grand par lui-même, parce qu’il s’en
trouve sincèrement incapable. Il reste seulement attaché à l’exécution des
seuls devoirs de son état, s’en trouve heureux, préférant même une vie retirée,
autant que possible solitaire, silencieuse et cachée. Mais il n’en est pas
moins sensible au bonheur ou au malheur de ses frères : il prie pour eux,
il œuvre avec ardeur à leur bien, il est prompt à dépenser et sacrifier jusqu'à
sa propre personne pour leur salut spirituel. Mais il doit garder à l'esprit
que ce qu’il fait pour eux, il ne le fait pas imprudemment de sa propre
volonté, mais parce que c’est Dieu qui veut à travers lui.
13. Et c'est l’esprit d’intelligence qui doit
l'amener à connaître la volonté de Dieu pour les services qu’il doit rendre à
ses frères.
14. Car l'esprit d’intelligence lui montre
qu'en la charité qu’il doit exercer envers ses frères, se manifeste avant tout
la volonté de Dieu, et de la façon la plus ordinaire à travers les
circonstances extérieures.
15. - Et ces circonstances, qui permettent de
savoir quels sont les actes de charité il est appelé à exercer envers son
prochain, sont les suivantes :
I.
lorsqu'il les besoins de son prochain se manifestent à lui de la façon
la plus évidente, comme le dit si clairement saint Jean : « Si
quelqu’un, jouissant des biens de ce monde, voit son frère dans la nécessité et
lui ferme les entrailles, comment l’amour de Dieu demeurerait-il en lui ? »
( I Jn, 3,
17).
II. lorsque son
prochain lui-même lui fait la demande de n'importe quel service charitable,
comme le dit notre divin Maître : « Soyez parfaits comme votre Père
céleste est parfait » (Mt, 5, 48), nous rappelant ailleurs que notre Père
céleste nous donne tout ce que nous demandons en son nom. Aussi, le Chrétien
donne-t-il tout ce qu’il peut donner, quand le prochain le lui demande et s’il
veut être parfait comme est parfait le Père céleste.
16. - De plus, afin de bien pouvoir assumer
l’œuvre de charité qui lui est ainsi demandée, il doit s’y prêter joyeusement
et avec courage, s’il veut correspondre à la vocation de la vie parfaite dans
la charité, et cela, au prix même de sa propre incommodité et de sacrifices,
ou, autrement dit, avec tout cet amour fervent qui ne recherche son propre
avantage ni ne pense à ses propres affaires mais toujours à celles d’autrui.
Car c'est la charité qu’a exercé le
divin Maître envers les hommes, en faisant preuve d'une perfection sans limite
en délicatesse humaine, jusqu’à donner son sang, ce sang versé sur le calvaire.
17. - Mais il arrive parfois que l’humble et
fervent Chrétien, qui, de lui-même, a préféré une vie cachée, retirée des
périls et des hommes, vouée à une perpétuelle contemplation, et partagée entre
les nombreuses oraisons, l’étude ou l’exercice de quelque profession, les
nécessités de la vie ou quelques instants de repos, il arrive donc que les
forces de la charité tirent cet homme
de son retrait, qu’il aimait non par inertie, mais par une sincère humilité.
Pour le bien de son prochain, le voici alors confronté à la vie active,
immergé, selon la volonté divine, dans un océan sans fin de soucis, de tracas,
d’affaires et d’actes de toute sorte, petits ou grands, modestes ou glorieux,
dans l'ordre selon lequel Dieu les a disposés devant lui.
18. Avec cet esprit
d’intelligence, le Chrétien plein de charité parvient, selon les circonstances,
à se surpasser, en embrasant de grandes choses, pénibles ou périlleuses, ou
tout à la fois, à la condition que Dieu lui fasse sentir intérieurement qu’il
en a la capacité, et que ses supérieurs
ne le lui interdisent pas ou que son prochain, dans lequel il reconnaît
toujours son divin Seigneur, le lui demande tacitement ou expressément.
19. Ajoutons
que le Chrétien qui aime la perfection, embrasse ces œuvres de charité
sans avoir de préférence pour l’une plutôt que pour l’autre.
20. Il
conservera alors pour cela les trois règles suivantes :
I. Il
embrassera les œuvres de charité qui lui sont expressément demandées par son
prochain, sans en attendre d'autres ultérieures et incertaines, et sans jamais
les refuser, quelles qu’elles soient, petites ou grandes, agréables ou
ennuyeuses et pouvant être accomplies par n'importe qui ou par lui seul.
II. Si,
au même moment, il lui est demandé davantage d’œuvres de charité qu’il ne peut
embrasser simultanément, qu’il opère alors un
choix selon l’ordre de la charité, ayant toujours à l’esprit de
n’assumer que celles qui sont proportionnées à ses forces.
III. Enfin, il ne se fatiguera ou ne se lassera
d'aucune œuvre de charité ; s’il le peut, il les conduira toutes à leur terme,
et si celles-ci requièrent une occupation continue, il persévèrera, sans rien
entreprendre de nouveau, restant fidèle à l'œuvre déjà engagée comme étant sa
propre vocation.
21. La
volonté de Dieu se manifeste par les circonstances externes, ce qui est le
moyen le plus ordinaire. Elle peut aussi se manifester par des inspirations
intérieures. Mais ces inspirations ne seront jamais en conflit avec les
circonstances externes.
22. Le
Chrétien, sans se mettre en contradiction avec la conscience de son propre
néant, peut donc accepter des tâches différentes de celles qui sont liées à son
état, poussé par l'intervention intérieure de l’Esprit Saint, qui est le
médiateur à travers lequel se manifeste en toute clarté la volonté divine.
23.
Cependant, il convient de s'assurer de semblables inspirations, et
d'examiner avec rigueur les secrets de son cœur, afin que ne s'y mêle les voix
de l’amour propre et les ruses du démon, qui sait se transformer parfois en un
ange de lumière ; de plus, il ne sera pas superflu que ces inspirations se
voient confirmées par ses supérieurs spirituels.
24. Il
y a, enfin, une règle générale et infaillible pour prouver la divine volonté,
qui se manifeste soit par les signes des circonstances externes, soit par les
inspirations intérieures : c'est la paix et la tranquillité que goûte le
Chrétien dans les profondeurs de sa conscience. Il doit alors se concentrer en
lui-même, et examiner avec soin s’il ressent quelque inquiétude. Et, s'il y
veille attentivement, c'est là qu'il trouvera les signes de sa condition.
L’amour propre et toute fin humaine de quelque nature qu'elle soit, provoquent
toujours en l’homme d'inévitables troubles. Et, connaissant ces perturbations
de sa conscience, il lui faut en découvrir la cause, pour distinguer ce
qui procède du pur esprit de Dieu, et
qui est un esprit de parfaite tranquillité, ou ce qui vient de lui-même, et qui
est le fruit d'une sensibilité ou d'un orgueil non encore rabaissé,
c'est-à-dire, en un mot, d’une ruse de l’ennemi.
25. Et c'est ainsi
que si les Chrétiens pratiquaient tout ce que leur a enseigné leur divin
Maître, ils formeraient ensemble une société pacifique et heureuse, et
goûteraient dans la vie présente à ce bonheur promis dans une vie future
par Marie-Catherine Bergey Trigeaud
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© Centre français de spiritualité rosminienne